Toutes nos activités sont à quelque degrés interchangeables, et la plupart pourraient être accomplies par des machines.
L’acte irremplaçable, c’est le rayonnement de l’être, le sourire de la bonté, l’élan du coeur : tout ce qui vient du dedans, en la gratuité du don. C’est par là que tout être est nécessaire, que toute vie est infinie : le pain, qu’on achète et qu’on vend, peut être le symbole d’une communion, si les mains qui se touchent et les regards qui s’affrontent, laissent passer la lumière des âmes.
(L’Évangile intérieur)
Qu’on soit croyant ou qu’on ne le soit pas, ce n’est pas cela qui importe. Ce qui importe c’est de vivre cette prise de conscience, de vivre cet infini en soi et dans les autres. Celui qui ne l’a pas perçu est en deçà de son humanité, il pourra sans doute y parvenir un jour, il aura sans doute la chance un jour de faire une expérience qui lui permettra de franchir le pas, mais tant qu’il n’aura pas accédé à cette expérience, il ne peut prendre en main son humanité puisqu’il ne l’a pas perçue comme un problème, comme le problème essentiel.
Celui qui, en revanche, a perçu cette dimension, qui l’a reconnue dans les autres ou en soi-même est embarqué. Il ne peut plus revenir en arrière. Il est embarqué et il faudra qu’il pousse sa recherche jusqu’au moment où il aura identifié cet infini et jusqu’au jour où il comprendra ce qu’il en résulte pour son comportement. (Maurepas, juin 1974)
Connais-toi toi-même :
C’est là que commence la découverte de la vie, et rien n’est plus passionnant que cette recherche : savez-vous qui vous êtes et quel est votre vrai nom ?
Quand vous vous poserez sérieusement cette question, vous sentirez soudain tout ce qu’elle soulève de mystère. [… ] Nous ne savons pas qui nous sommes, et chaque jour, nous voyons surgir en nous des régions inexplorées, des terres inconnues, des continents en dérive, des cités qui s’élèvent ou s’écroulent: tout un univers en perpétuelle gestation.
Et le mystère de notre vie : nos espoirs et nos rêves, nos douleurs et nos faiblesses, notre grandeur et notre misère, tout cela chacun de nos semblables, à sa manière, le vit.
Voici notre ami le plus cher; nous lui serrons la main pour lui donner le bonjour. À peine réalisons-nous le contact matériel qui s’établit entre nous par ce geste : sa main n’est dans la nôtre que le symbole et le gage de son amitié.
Notre intention se porte au-delà, c’est son coeur que nous cherchons. Non point évidemment ce muscle de chair qui bat dans sa poitrine, mais ce coeur spirituel avec lequel il nous aime: ce coeur, qu’on ne peut situer nulle part, et que les mains ne saisiront jamais, ce coeur qui est l’être même en sa source : toute sa vie intérieure et tout le mystère de sa personne.
Combien de tragédies d’amour s’exaspèrent dans cette impuissance à saisir ce dedans qu’on ne peut atteindre qu’en renonçant à le posséder, car il est infini comme le rêve d’une pensée libre. Personne ne pourra jamais forcer notre estime, contraindre notre jugement ou violer notre coeur.
Et pourtant, ce que nous sentons inaccessible en nous, il nous semble facile de l’atteindre chez les autres. Nous nous flattons de surprendre leur psychologie, grâce à un coup d’oeil pénétrant, et, définissant leur caractère en deux ou trois traits, nous prétendons saisir et le secret de leur conduite et celui de leur personnalité.
Et nous en venons très vite à identifier les êtres avec leur fonction, en leur appliquant à longueur de journée des jugements qui, retournés contre nous, nous apparaitraient comme le comble de la folie, de l’impudeur et de l’injustice.
C’est ainsi qu’avec une tranquille inconscience, nous tuons les âmes.
Et, ce qui est vrai d’individus auxquels nous avons le plus immédiatement affaire: nos enfants, nos collègues, nos chefs, nos subordonnés, est plus vrai encore des collectivités où nous enfermons artificiellement la plupart des hommes. Nous avons une facilité étrange de penser par groupes: telle classe, telle profession, telle race, tel peuple. Qu’il y ait sous ces étiquettes des êtes vivants dont chacun a une destinée personnelle, nous n’éprouvons aucun scrupule à l’ignorer. Et nous portons, avec une assurance dogmatique, sur des millions d’hommes, dont nous ignorons le langage, les oeuvres et la vie, dont nous ne connaissons intimement aucun, des jugements définitifs, qui les obligent éternellement à être ce que, pour la commodité de notre système ou le simple désir de paraître informé, nous avons déclaré qu’ils devaient être.
Comme il est urgent de défaire en notre esprit ces unités contingentes ou factices, et de discerner, dans le groupe, les personnes : chaque personne, avec son devoir merveilleux et son droit imprescriptible de vivre humainement! L’humanité est en péril de mort, parce que tous les problèmes – pédagogiques, économiques, sociaux, politiques – sont posés dans l’abstrait, en l’ignorance systématique de la question qui les éclairerait tous :
Qu’est-ce que l’homme ?
(In l’Évangile intérieur) Continuer la lecture de